L’importance de placer les femmes et les filles au cœur des dispositifs d’aide
La vitesse à laquelle la pandémie de COVID-19 bouleverse les systèmes de santé, politiques et économiques mondiaux est renversante. Selon les pronostics, ce sont les marchés émergents qui seront les plus durement touchés par la pandémie et ses contrecoups. C’est pourquoi les institutions de financement du développement (IFD) allient leurs forces pour trouver des solutions communes qui aideront les entreprises privées présentes sur ces marchés à surmonter la crise.
Le Défi 2X et le Gender Finance Collaborative, deux initiatives chapeautées par des IFD et expertes en matière d’investissement intégrant une optique de genre, tiennent à souligner le fait que la pandémie de COVID-19 touche et continuera de toucher plus durement les femmes et les filles, un déséquilibre qu’il nous faut prendre en compte. Nous appelons donc les investisseurs ainsi que nos IFD consœurs à trouver une réponse à la crise qui intègre une optique de genre.
Appel à l’action
Le groupe de travail du Défi 2X et le Gender Finance Collaborative veulent veiller à ce que la dynamique de genre soit prise en compte dans les réponses à la COVID-19 des IFD, des investisseurs et des autres intermédiaires financiers. Dans l’immédiat, nos recommandations s’articulent autour de deux modes d’action, à savoir répondre rapidement à la crise et investir dans les solutions intégrant une optique de genre.
Répondre rapidement à la crise
- Fournir un soutien direct (financier ou consultatif) aux sociétés bénéficiaires des investissements touchées par la crise, en priorité aux secteurs comme celui des soins de santé, aux fabricants de matériel de protection sanitaire (particulièrement d’équipements de protection individuelle) et aux prestataires de services (garde d’enfants, soins de santé et psychosociaux pour les femmes). Les IFD doivent également se concerter pour comprendre les besoins immédiats des entreprises participant au Défi 2X et les soutenir en conséquence.
- Collaborer pour fournir des liquidités ou des fonds de roulement aux institutions financières et aux intermédiaires qui adoptent une optique de genre, par exemple en ciblant les secteurs d’activités mentionnés plus haut, ou les institutions financières qui répondent spécialement aux besoins des femmes emprunteuses (institution de microfinance et prêteurs aux PME), ainsi qu’aux gestionnaires de fonds féminins. Le groupe de travail du bureau des investissements du Gender Finance Collaborative peut participer au repérage, à l’évaluation et à la diffusion de ces occasions.
- Utiliser et déployer le financement de l’assistance technique pour aider les sociétés bénéficiaires des investissements à adapter leur réponse aux réalités des femmes et à mettre à profit les plateformes déjà en place, comme le groupe de travail sur l’assistance technique de l’IEFD.
- Travailler proactivement avec les sociétés bénéficiaires des investissements pour évaluer les conséquences possibles des licenciements collectifs ou de coupes massives dans l’effectif pour que les femmes ne soient pas disproportionnellement exposées ou vulnérables en raison de leur surreprésentation dans les catégories d’emplois précaires et peu qualifiés, et que tous les travailleurs (hommes ou femmes) comprennent bien leurs droits en tant qu’employés.
Investir dans les solutions intégrant une optique de genre
- Passer en revue les portefeuilles et diffuser les pratiques exemplaires utilisées pendant la phase d’intervention d’urgence et les crises précédentes pour guider des solutions de reprise à long terme favorisant l’égalité entre les genres.
- Lancer les projets de reprise à plus long terme qui intègrent une perspective de genre pour veiller à ce que les activités d’inclusion économique des femmes prévues se maintiennent et que les interventions paritaires qui étaient en cours avant la pandémie ne soient pas reléguées au second plan sans une mûre réflexion.
- Collaborer à la conception de mécanismes financiers, de facilités conjointes et d’autres solutions permettant de fournir des liquidités aux institutions financières et aux intermédiaires qui adoptent une optique de genre, par exemple en ciblant les secteurs d’activités mentionnés plus haut, ou les institutions financières qui répondent spécialement aux besoins des femmes emprunteuses, ainsi qu’aux gestionnaires de fonds féminins. Le groupe de travail du bureau des investissements du Gender Finance Collaborative peut participer au repérage, à l’évaluation et à la diffusion de ces occasions. Les critères d’admissibilité du Défi 2X peuvent aussi constituer un outil utile pour les repérer.
- Investir dans des solutions pour mieux collecter, étudier et partager des données ventilées par le genre (et d’autres données qui pourraient faire ressortir des enjeux d’intersectionnalités) avec des IFD et d’autres investisseurs pour surveiller l’efficacité des mesures d’intervention d’urgence et à long terme et en prévision des crises futures.
- Investir financièrement dans les solutions qui améliorent la résilience face aux futures pandémies ou aux crises similaires, particulièrement celle des femmes, comme les services de garde d’enfants et les soins de santé, les équipements de protection individuelle, les fournisseurs et détaillants de produits pour femme et les initiatives pour faire avancer le pouvoir économique des femmes. Les critères d’admissibilité du Défi 2X peuvent constituer un outil utile pour repérer ce genre d’occasions.
Dans leur réponse à la crise actuelle, les IFD et les investisseurs doivent s’assurer que les femmes participent aux décisions et contribuent à la conception des solutions. Ils devraient encourager leurs clients et leurs partenaires à faire de même. Il a d’ailleurs été prouvé que les conseils et les équipes exécutives diversifiés en matière de genre sont associés à de meilleures performances lorsque leur entreprise est en période de difficulté financière.
Les IFD peuvent également s’appuyer sur des principes communs et des plateformes de co-investissement et d’investissement paritaire conçus par le Défi 2X et le Gender Finance Collaborative.
Pourquoi la réponse au COVID-19 se doit-elle de prendre en compte la question des genres?
L’inégalité entre les genres et les vulnérabilités sexospécifiques sont exacerbées en temps de crise. Comme en témoignent les crises sanitaires passées, les femmes font partie des populations qui sont touchées en premier, et le plus durement.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les femmes comptent pour 70 % du personnel des services sanitaires et sociaux : or, le corps médical et infirmier et les autres professionnels de la santé sont les plus exposés au risque de contagion. Il est donc crucial que ces travailleuses reçoivent un soutien et une protection adaptés pour exercer leur métier en toute sécurité et soient assurées de bénéficier d’indemnités de maladie et d’un logement sûr si elles venaient à contracter le virus.
En dehors du système de santé officiel, les femmes sont exposées à un plus grand risque du fait de leur rôle prépondérant dans l’économie des soins. En effet, quand les garderies et les écoles ferment, ou qu’un aîné tombe malade ou nécessite des soins, c’est généralement aux femmes qu’on demande de rester à la maison pour agir comme aidantes bénévoles. Ainsi, le risque qu’elles tombent malades à leur tour augmente, de pair avec leur charge de travail.
L’organisation globale du travail, qui résulte entre autres en une ségrégation sectorielle (la concentration des hommes et des femmes dans certains types d’occupations) et un profond manque de parité salariale à l’échelle mondiale, nous indique que les conséquences de la crise sur les entreprises et les chaînes d’approvisionnement mondiales seront elles aussi genrées. Sans mesures d’atténuation, ces inégalités seront vraisemblablement amenées à s’amplifier et à perdurer.
Partout dans le monde, les femmes sont généralement surreprésentées dans les catégories d’emplois précaires et peu qualifiés qui offrent des avantages sociaux et médicaux souvent moins importants et qui sont principalement dans les secteurs de l’agriculture, des services et de l’industrie légère. Ces emplois sont particulièrement à risque en temps de crise, ce qui peut accroître la vulnérabilité des femmes dans leur milieu familial ainsi que dans leur rôle de soignantes non-rémunérées. Il pourrait ensuite s’avérer plus difficile pour les femmes de retourner sur le marché du travail, tel que cela semble avoir été le cas en Afrique de l’Ouest suite à l’épidémie d’Ebola. Aussi, les travailleuses migrantes qui vivent loin de leur foyer ou doivent parcourir une longue distance pour rentrer chez elles se trouvent exposées à un risque accru d’exploitation et manquent de protection.
On sait également que les entrepreneures rencontrent d’importants obstacles en matière d’accès au capital et aux marchés, et que, par rapport aux hommes, elles se voient souvent octroyer des prêts moins élevés, mais à des taux d’intérêt supérieurs. À l’heure où les propriétaires d’entreprise du monde entier se retrouveront dans une situation financière difficile, la réponse des institutions financières et des intermédiaires se devra d’atténuer, et non d’exacerber, les difficultés spécifiques auxquelles devront faire face les entrepreneures pour accéder au soutien financier dont elles ont besoin pour ne pas mettre la clé sous la porte.
Comme ce fut le cas pendant les épidémies récentes d’Ebola et de Zika, il est probable que des systèmes de santé surchargés et une mobilité réduite aient pour effet de rendre l’accès à des soins de santé plus difficile pour les femmes et les filles. Ces soins moins accessibles pourraient inclure des soins de santé maternelle et infantile ou des programmes de lutte contre la violence faite aux femmes L’accessibilité et la disponibilité de ces soins pourraient diminuer, ou tout simplement disparaître, les ressources déjà limitées étant réservées à la lutte contre l’épidémie. Ce qui pourrait entraîner un risque aggravé de mortalité maternelle, de la violence familiale et des agressions sexuelles.
Il existe peu d’information sur les effets que peut avoir le virus sur les femmes enceintes et leur futur bébé, faisant peser une charge économique et mentale disproportionnée sur ces femmes en raison de leur risque de contagion plus élevé. Plus la pandémie de COVID-19 progresse, plus ces enjeux sexospécifiques s’intensifient, eux aussi.
Les IFD et les investisseurs devront intégrer une perspective de genre à leurs stratégies de reprise à court et à long terme après la pandémie de COVID-19 pour prévenir les répercussions trop importantes sur les femmes, mais aussi gagner en résilience en vue des prochaines crises en favorisant un secteur privé plus stable et plus équitable.
À propos du Défi 2X: Lancé en juin 2018, le Défi 2X représente un engagement majeur des IFD des pays du G7 (CDC Group, CDP, DEG, US DFC, FinDev Canada, JBIC/JICA et Proparco) à débloquer des ressources et à les mettre au service du renforcement du pouvoir économique des femmes et de l’égalité des genres. Depuis, ces IFD soutiennent des investissements et des initiatives qui aident les femmes des pays en développement à accéder à des postes de direction, à des emplois de qualité, à du financement et à du soutien en entreprise ainsi que des produits et services qui favorisent l’inclusion ou la participation économique des femmes et des filles. Depuis 2018, six nouvelles IFD sont venues gonfler les rangs du Défi 2X : BIO-Invest, Finnfund, FMO, IFU, SIFEM et Swedfund. En octobre 2019, la BEI a été la première banque de développement multilatéral à adopter les critères du Défi 2X.
À propos du Gender Finance Collaborative: Créé en mars 2018, le Gender Finance Collaborative est formé de 14 IFD et EIB ayant décidé d’unir leurs forces – capitaux, capacités, réseaux et connaissances – pour développer l’investissement intégrant une optique de genre. Ensemble, le groupe cherche à : i) démontrer qu’investir avec une optique de genre et encourager les sociétés bénéficiaires des investissements à porter davantage attention à ces enjeux est gagnant sur le plan commercial comme social; ii) appuyer les possibilités d’amélioration des conditions de vie des femmes et des filles partout sur la planète; iii) promouvoir les améliorations en matière d’inclusion des femmes pour continuer à élargir le bassin de femmes en leadership et en gouvernance d’entreprise.