Le mois dernier, j’ai eu l’occasion de participer à la COP28 à Dubaï. Chaque année, cette conférence annuelle sur le climat gagne en importance alors que nous sommes collectivement aux prises avec les défis posés par la crise climatique — des défis qui deviennent de plus en plus complexes et dont les répercussions s’aggravent au fil des ans, voire des saisons.
C’était ma première participation à la COP sur le climat (j’ai assisté l’an dernier à Montréal à la COP15 sur la nature et la biodiversité), et je tenais à vous faire part de quelques faits saillants de mon expérience.
Un casse-tête à assembler
Lorsque je repense à ma semaine, c’est la métaphore du casse-tête qui me vient à l’esprit. Si vous avez déjà essayé d’assembler un casse-tête, surtout avec d’autres personnes, vous comprendrez sûrement les parallèles ci-dessous.
Commençons par l’image sur la boîte : c’est l’objectif vers lequel tendre. Côté climat, l’objectif a longtemps été de garder le cap sur l’engagement de l’Accord de Paris, soit de limiter le réchauffement à 1,5 degré. Si les modélisations actuelles démontrent que cela demeure techniquement possible, le défi est de taille. Il va toutefois sans dire que l’objectif doit être de freiner radicalement la hausse de la température.
Ensuite, on sort et on retourne toutes les pièces du casse-tête pour avoir une vue d’ensemble du travail à accomplir. Lors de la COP28, cela s’est traduit par des journées consacrées à des thèmes clés : financement, énergie, eau, alimentation et agriculture, égalité des sexes, commerce, communautés autochtones, santé, etc. Le climat est bien plus qu’une question d’environnement. La programmation thématique est une façon de refléter cette réalité et de garantir que toutes les pièces du casse-tête, et la manière dont elles s’imbriquent ensemble, sont explorées ensemble et bien comprises.
Troisièmement, lorsqu’on travaille avec d’autres, il faut bien répartir les responsabilités. Certaines personnes se concentrent sur le pourtour du casse-tête pour donner une structure, tandis que d’autres rassemblent les pièces semblables et s’efforcent de les mettre à la bonne place. À la COP, mais aussi dans d’autres contextes, cela se traduit par la nécessité de réunir les bonnes personnes autour de la table, en permettant à chacune de se concentrer sur le domaine où elle apporte le plus de valeur. La division du travail sera un élément essentiel de notre réponse à la crise.
C’est alors que commence le travail difficile. Chacun se concentre sur sa tâche en gardant l’objectif en tête. L’énorme casse-tête est composé d’innombrables pièces. Et les imbrications sont complexes. Au moment où on croit avoir mis ensemble une bonne partie du casse-tête, on s’aperçoit que l’endroit où on pensait pouvoir la joindre à une autre ne fonctionne pas et qu’il faut assembler d’autres morceaux avant d’y arriver. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Moins de paroles, plus d’action
Des événements comme la COP28 sont souvent injustement critiqués en raison du déséquilibre perçu entre les paroles et l’action. Cette perception n’a rien de surprenant : l’obtention d’un consensus dans un contexte de multiples points de vue divergents est un travail de longue haleine. Ces conversations prennent du temps, mais elles ont porté leurs fruits à la COP28.
L’annonce de la création d’un fonds pour faire face aux pertes et aux dommages et l’inclusion d’un libellé sur la sortie des énergies fossiles dans ce que l’on appelle le « Consensus des Émirats arabes unis » ont nécessité de longs pourparlers. Ces actions, bien qu’imparfaites, sont importantes et représentent un net progrès. Elles pointent vers la bonne direction. Les paroles ont mené à l’action.
Recherchés : capitaux et innovation
L’un des thèmes récurrents entendus à la COP28, et plus largement dans l’espace climat et développement? Le rôle crucial du secteur privé. Les capitaux et la capacité d’innovation du secteur privé doivent être rapidement mobilisés à grande échelle. Mais cela ne se produit pas aux niveaux requis, en partie parce que les facteurs de motivation du secteur privé et l’enjeu de la gestion des risques ne sont pas suffisamment pris en compte dans la recherche de solutions. Pour faire de réels progrès et réunir les capitaux qui s’imposent, il faut comprendre tant cette dynamique risque/rendement que l’utilité des capitaux concessionnels.
Les organisations telles que les institutions financières de développement (IFD), qui travaillent aux côtés du secteur privé pour atteindre de tels objectifs, ont un rôle déterminant à jouer pour mieux faire connaître les mesures à prendre pour donner de l’élan à la mobilisation de capitaux.
C’est bien beau l’argent, mais ça ne règle pas tout
Un refrain entêtant s’est fait entendre avant et pendant la COP28, et résonne encore : les déficits de financement. Nous savons qu’il faut investir des billions de dollars, mais ces sommes ne se concrétisent pas. Chaque année en situation de déficit de financement climatique, le fossé global se creuse. Il est important d’attirer l’attention sur ce point.
Mais ces déficits ne sont qu’une partie du problème : pour nous attaquer avec succès à la crise climatique, nous devons déployer une pensée systémique. À l’instar de notre casse-tête, une multitude de pièces doivent être réunies. Le financement constitue certes une partie importante du casse-tête, mais pas la totalité. Nous devons réfléchir aux changements à apporter pour que le financement génère l’impact souhaité. Les gouvernements doivent par exemple établir les attentes et créer un contexte favorable à l’action en mettant en place de rigoureux cadres politiques, juridiques et réglementaires. Des projets de financement bien préparés et bien structurés doivent être proposés au secteur privé. Il faut aller à la rencontre du marché là où il se trouve. Et la dynamique risque/rendement au sein du secteur privé doit être comprise. Bref, l’argent fait partie de la solution, mais n’est pas toute la solution.
Tout, partout et tout à la fois
Nous savons que nous ne jouons pas à un jeu séquentiel (fut-ce d’ailleurs jamais le cas?). Mais le nombre colossal de problèmes auxquels nous devons aujourd’hui nous attaquer de façon simultanée a de quoi donner le tournis.
Le fonds pour les pertes et dommages est un succès important de la COP28, mais nous devons maintenant le doter de tous les moyens nécessaires pour réparer les dommages causés par le carbone déjà présent dans l’atmosphère, sans parler de ce qui se profile à l’horizon. Il faudra en faire plus. Pour opérer la transition énergétique, nous devons fondamentalement transformer le développement, l’exploitation, le transport, la tarification et l’accessibilité de l’énergie. Le nombre de variables qui doivent être en jeu pour réussir est, là encore, impressionnant. La création d’une nouvelle approche pour évaluer la valeur, établir les tarifs et intégrer les solutions basées sur la nature à notre réponse climatique nécessitera de l’innovation, de la confiance et un rapprochement entre les gouvernements, la finance, l’industrie et les collectivités locales.
Tout cela représente une transformation à grande échelle, d’un seul coup.
Le mot de la fin : la perspective d’une IFD
Bien que cet article ne concerne pas les IFD, il aborde des questions que nous devons prendre en compte au fil de notre évolution. FinDev Canada a pour mission de faciliter le développement par le biais du secteur privé et pour y arriver, nous misons sur ce qui suit :
- Nos solutions financières (prêts, fonds propres et financement mixte) et non financières, comme l’assistance technique, qui apportent autour de la table une expertise en financement climatique et d’autres connaissances;
- Notre leadership éclairé et notre promotion du dialogue sur des questions clés, comme les recoupements que nous voyons entre le climat, la sécurité alimentaire et le genre;
- Nos régions géographiques de prédilection, à savoir l’Amérique latine et les Caraïbes, l’Afrique subsaharienne et l’Indo-Pacifique, qui sont aux premières lignes du changement climatique;
- Nos secteurs prioritaires (infrastructures durables, services financiers, et agroalimentaire, foresterie et chaînes de valeur), qui sont tous inextricablement liés aux effets du changement climatique et sont porteurs de solutions d’atténuation et d’adaptation.
Tout cela est guidé par le souci constant que nous accordons à l’impact sur le développement, que ce soit sur le plan de l’action climatique et de la nature, de l’égalité des genres ou du développement des marchés. Ces objectifs se recoupent de plus en plus et se renforcent mutuellement. L’espace qui les sépare se rétrécit. En tant qu’IFD du Canada, nous reconnaissons le rôle important que nous avons à jouer pour réunir capitaux et connaissances en faveur d’une croissance durable, inclusive et conforme aux objectifs de l’Accord de Paris. En fin de compte, la COP28 a validé ce rôle.
Revenons donc au casse-tête. Du fait de notre mandat, nous avons une place autour de la table. Nous devons regarder l’image sur la boîte, sélectionner les pièces sur lesquelles nous concentrer et travailler avec nos partenaires pour passer des paroles aux plans, puis des plans à l’action. Et ce, avec les fonds et les expertises nécessaires pour reconstituer le casse-tête et assurer notre avenir commun.