Ce n’est pas d’hier qu’on a recours à la ludification pour récompenser les bonnes actions. Mais pourquoi ne pas plutôt s’en servir pour inciter les gens à changer?
L’immersion dans une situation simulée peut donner lieu à des expériences et à des sentiments marquants, surtout si elle passe par le jeu. Si l’on vous demandait de démontrer de manière judicieuse et mémorable l’injustice et la violence dans une situation de longue date, mais aussi ses effets pernicieux sur la société, comment vous y prendriez-vous?
La lecture peut aider à mieux comprendre, et les discours peuvent momentanément émouvoir, mais subir soi-même l’injustice, c’est tout autre chose.
Si vous voulez faire vivre aux gens une expérience vue de l’intérieur plutôt que de les amener à se l’imaginer au loin, la lecture et les discours ne suffisent pas.
Les jeux de société sont revenus à la mode il y a quelques années, non seulement dans les foyers, mais aussi dans les pubs et cafés. Et tout récemment, certains s’y sont tournés comme passe-temps de confinement durant la pandémie de COVID‑19. Enfant, j’adorais les jeux de société. Je me souviens entre autres que le sentiment de défaite nous paraissait bien réel, et que parfois, ça pouvait être si frustrant! Et c’est là, je crois, une particularité des jeux de société, outre leur caractère ludique : les sentiments de victoire et de défaite qu’ils nous inspirent sont authentiques.
C’est pourquoi j’ai tout de suite pensé aux jeux de société comme moyen de faire « vivre » de plus près les inégalités de genre sur lesquelles les gens peuvent avoir lu. Comme le Défi 2X a récemment invité les investisseurs à continuer de placer les questions de genre au cœur de leurs processus décisionnels, le moment est plus propice que jamais de faire comprendre au monde que les entraves à la participation économique des femmes nuisent non seulement aux femmes, mais à la société tout entière. C’est ici qu’Inégapolis entre en jeu : il amène les joueurs à se mettre dans la peau des femmes, qui, dans bien des parties du monde, ont moins de droits juridiques et sociaux que les hommes. Et cette inégalité, elle est enracinée.
L’idée est simple : chaque joueur se voit assigner un genre en lançant les dés, puis progresse sur une planchette de jeu. Au cours de la partie, il peut acheter, vendre ou échanger des propriétés. Le hic, c’est que ce microcosme économique est particulièrement injuste pour les femmes, comme dans la vraie vie.
Par exemple, lorsqu’un homme s’arrête sur une propriété, il peut choisir de l’acheter immédiatement. Mais lorsqu’une femme s’arrête sur une propriété et qu’elle souhaite l’acheter, elle doit attendre son prochain lancer de dés pour le faire (ce qui symbolise la permission qu’elle doit obtenir de son mari ou de l’aîné de la famille, ou la difficulté d’obtenir le crédit nécessaire).
Dans le même ordre d’idées, Inégalopolis désavantage les femmes dès le début de la partie : les hommes commencent la partie avec 1 500 crédits, ou « Fincoins », tandis que les femmes ne commencent qu’avec 1 000.
Et les règles sont loin d’être arbitraires. En effet, elles sont basées sur des lois et règlements en vigueur dans plusieurs pays. Chaque carte qui limite les possibilités des femmes affiche des statistiques de différentes sources, telles que la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou le Fonds monétaire international (FMI), pour montrer l’équivalent de chaque règle dans la réalité.
Le jeu reflète aussi l’incidence des inégalités de genre sur les hommes. Par exemple, ceux-ci sont plus susceptibles d’aller en prison que les femmes, comme c’est le cas partout dans le monde.
Inégalopolis a été conçu pour montrer l’importance capitale du renforcement du pouvoir économique des femmes, placé au cœur de toutes les activités de FinDev Canada. C’est que cet enjeu moral se double en fait d’avantages pour la croissance économique mondiale.
Pouvons-nous uniformiser les règles du jeu?
Vous vous dites peut-être qu’une femme a peu de chances de gagner une partie d’Inégalopolis, et vous avez raison. Mais après quatre tours, une femme qui obtient un doublé peut tirer une carte AUTONOMISATION, qu’elle garde pour le reste de la partie. Ces cartes lèvent certaines restrictions imposées aux femmes.
Les cartes AUTONOMISATION correspondent aux progrès réalisés vers l’égalité des genres, même si le jeu reste en défaveur des femmes dans l’ensemble. Les joueurs qui ont ce rôle trouvent l’expérience frustrante, agaçante et profondément injuste. Pourtant, ce n’est qu’un aperçu de ce que vivent un peu partout dans le monde d’innombrables femmes, qui se heurtent à des pratiques similaires non pas dans un jeu, mais dans leur vie quotidienne.
Malgré les avantages de l’égalité des genres pour l’économie mondiale, comme une croissance du PIB mondial de 12 000 milliards de dollars américains, nous serions encore, selon le Forum économique mondial, à deux siècles de cet objectif.
Pour remédier à cette situation, les Nations Unies ont lancé un appel mondial en 2015 dans leurs objectifs de développement durable (ODD). Plus précisément, leur cinquième objectif invite le monde à atteindre l’égalité des genres d’ici 2030.
Inégalopolis ne changera pas le monde en une soirée, mais il peut montrer que si une carte AUTONOMISATION peut uniformiser une règle du jeu, elle ne suffit pas à égaliser les résultats.
Le jeu peut être acheté, mais vous pouvez aussi télécharger et imprimer une version gratuite.
Jouez-y avec autant de personnes que vous le pouvez. Le « déclic » qu’il peut provoquer, soit la prise de conscience que les barrières juridiques et sociales à la participation économique des femmes nous touchent tous, est une façon parmi tant d’autres de contribuer à mettre en échec l’inégalité des genres.